[Presse] Kikie Crêvecœur entre les pages

"En une image ou en plusieurs, Kikie Crêvecœur a toujours déployé des talents de conteuse du quotidien et de l’intime." Gilles Bechet, Mu in the city, mars 2020.

 

A l'agenda

Exposition de Kikie Crêvecœur à la Bibliotheca Wittockiana : l'exposition est prolongée jusque mi-août 2020.

Plus d'infos par ici

 

Kikie Crêvecœur, des rencontres gravées dans les pages

François-Xavier Lavenne, Le Carnet et les Instants, août 2020

"Kikie Crêvecœur aime les livres et, depuis plus de trente ans, elle dépose ses images entre leurs pages. Il était donc naturel qu’un livre soit consacré à cette artiste passionnée par les résonnances que créent les mots, par les objets qui les véhiculent, les hommes et les femmes qui les façonnent, les portent, les font vivre et jouent avec eux.

Kikie Crêvecœur entre les pages, paru aux Éditions Esperluète à l’occasion de l’exposition du même nom consacrée à l’artiste par la Bibliotheca Wittockiana, propose un parcours dans une œuvre foisonnante. Pierre-Jean Foulon en retrace les étapes depuis la sortie de l’artiste de l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles et sa participation au collectif Razkas au début des années 1980. Rapidement, Kikie Crêvecœur trouve son identité visuelle dans le choix de la gravure en relief sur un matériau insolite, des gommes. Kikie Crêvecœur a en effet choisi l’objet qui sert à effacer pour garder la trace de la vie, pour tracer des cheminements d’impressions fugitives, nouer des réseaux de questions dans lesquels le noir et le blanc s’équilibrent comme les sons et les silences se mêlent dans la parole.

La technique de la gravure à l’épargne rapproche l’œuvre de Kikie Crêvecœur de l’univers des livres imprimés artisanalement. Son goût pour le jeu sur le signifiant et le signifié, sur les images que provoquent les mots et les mots que provoquent les images la mène vers la poésie et crée des connexions avec le Daily-Bul, connexions qui se concrétiseront avec la parution du dictionnaire ludique Mots-Mots d’André Balthazar en 2017.

Du portfolio, Kikie Crêvecœur se tourne au début des années 90 vers la réalisation de livres-objets qui se déploient et se replient, invitant l’œil du lecteur à jouer dans cet espace recomposé. Ainsi, le premier de ces livres-objets, intitulé Livre-ivre, expose-t-il, en une suite de feuillets juxtaposés, une boucle faite d’un rythme de crescendo, puis de decrescendo. Lettre d’amour se présente comme un jeu de cartes reliées par un ruban rouge au fil duquel le vocabulaire de l’amour se déconstruit et se réinvente. Plus tragique, Les couleurs de la guerre fond-mâle, réalisé durant la guerre qui a déchiré l’ex-Yougoslavie, est, tour à tour, un petit carré rouge, puis une grenade, dont la mèche semble prête à s’allumer, et enfin une croix dans les bras de laquelle les gravures évoquent les explosions, les incendies, le désastre, mais aussi l’espoir qui peut s’enraciner tel un fruit – est-ce poire.

Le livre est pour Kikie Crêvecœur un espace de rencontres, des rencontres qui, loin d’être ponctuelles, deviennent des lignes d’échanges créateurs. Ces rencontres sont celles d’autres graveurs, comme Michel Barzin ou Gabriel Belgeonne, celles d’éditeurs, qui deviennent des complices et des stimulateurs d’imaginaire en proposant à l’artiste des projets et des collaborations, et celles d’écrivains, qui viennent mettre leurs mots entre ses gravures, comme Jacques Izoard dans Le manuel de dessin, ou voient leurs mots se déployer dans les traits de l’encre. Plus que d’illustration, il s’agit d’un processus dans lequel le texte et l’image se nourrissent, entrelacent leurs complicités et produisent une œuvre à quatre mains.

De l’amitié entre Kikie Crêvecœur et les éditions Tandem naîtra l’aventure de Trognes avec Caroline Lamarche, qui évoque leur travail dans un témoignage à la fin de l’ouvrage. Sur les pages du recueil, les arbres élagués deviennent des têtes sur des corps bossus. Ils donnent l’image d’une résistance, d’un travail âpre et endurant, d’un acharnement à vivre.

Le souci de créer un dialogue entre le texte et l’image caractérise les créations de Kikie Crêvecœur dans le cadre de la maison d’édition Esperluète. Ainsi a-t-elle collaboré avec Eddy Devolder pour le Kangourou de Cook ou Le Dodo de Lewis Carroll ; avec Serge Meurant pour Une saison sans éclat ou avec Michel Bernard pour Moi, l’évier et Dieu.

Une autre rencontre marquante dans l’œuvre de Kikie Crêvecœur est celle d’Amélie Nothomb dont elle illustrera quatre contes publiés à La Pierre d’Alun. Dans le recueil Brillant comme une casserole, l’humour décalé, voire cynique de l’écrivaine se joint à l’inventivité graphique de la plasticienne au fil d’histoires étranges, où se mêlent un empereur chinois cherchant la perfection dans la laideur, un hollandais ferroviaire, un serial killer dont les goûts, à la suite d’une expérience œnologique, le poussent vers des victimes de « meilleure qualité » et, enfin, un referendum provocateur sur l’existence de Dieu.

Il est impossible de citer tous les projets littéraires auxquels Kikie Crêvecœur a participé. Ils témoignent de la capacité de l’artiste à mettre son style en accord avec le texte. D’un trait alerte et enjoué, qui reflète le regard de l’enfant, Kikie Crêvecœur a ainsi conçu des images pour deux volumes de la série « Mon Papa » écrite par Ben Durant et publiée chez Quadri. Elles sont l’occasion pour l’artiste de jouer avec les références à l’Histoire de l’art et, notamment, avec la mosaïque de la bataille d’Issos dans Mon Papa, le grille-pain et moi.

Les gommes de Kikie Crêvecœur deviennent aussi des « bobines de vie ». Elles se déploient en longues frises pareilles aux pellicules d’un film à venir ou se plient et se déplient en petits accordéons d’existence quand elles ne s’éparpillent pas comme les timbres estampillés d’anciens présents. L’œil parcourt l’empreinte de ces jours, surpris d’y découvrir les souvenirs d’un voyage à New York ou à Rome, la trace de la visite d’Agnès Varda…

La multiplication de petits motifs rectangulaires compose d’hallucinants portraits en arbre. La forêt mystérieuse où l’ombre capture la lumière, l’envol de l’oiseau dont les ailes font osciller le jour et la nuit sont des fils qui traversent l’imaginaire de Kikie Crêvecœur. En particulier, les oiseaux, à la fois fragiles et libres, dessinent une manière plus poétique d’habiter le monde. Ils inspirent le trait dans la danse de leur vol, l’invite vers la légèreté et l’évasion, comme en témoigne le recueil Poids plumes, où les gommes taillées se mêlent aux proses de Nicole Malinconi.

Avec ce livre remarquablement illustré et l’exposition qu’il accompagne, le lecteur est entraîné à la rencontre de l’œuvre de Kikie Crêvecœur et, à travers elle, dans un voyage étonnant dans la littérature belge, à la découverte de la vitalité de maisons d’édition audacieuses qui sont des foyers de création artistique."

article à lire ici

 

Gommes et trognes

La Libre Belgique, supplément Arts libres, Roger Pierre Turine, mai 2020

"Quand Kikie Crêvecœur installe son barda, s'installe avec ses gravures (par centaines), ses livres illustrés (par dizaines), ses tirés à part (sélectifs), son énergie, ses enthousiasmes, ses images à gommes-que-veux-tu, c'est tout un monde, un univers, un petit théâtre du quotidien et des imprévus qui s'en vient à vous, sans crier gare peut-être mais non sans vous sourire par sa simplicité, sa bonne humeur, ses vérités sous le manteau.
La Wittockiana ne pouvait, juste échange, que lui sourire à son tour. Directrice sensible aux surgissements, implications, saveurs et ferveurs d'une Kikie sans faux col, Géraldine David, qui préside aux destinées du lieu, a mis la main à la pâte, tête qui pense et ordonne, pour soutenir l'artiste dans une mise en espace qui n'avait rien de gagné d'avance quand Kikie grave aussi de très petites choses, des gommes, solitaires ou en ribambelle, qui se déplient, se déploient, s'étalent en attisant des curiosités soumises aux regards avides.

Kikie dans ses meubles
La mayonnaise a pris et l’ambiance confie au plat de gourmet des images, des entendus et, surtout, des inattendus, une part de profondeur qui justifie la simplicité des ferveurs. Crêvecœur a le cœur sur la main et c’est en allant à l’assaut d’improbabilités, qu’elle crève l’écran par des audaces qui bousculent l’entendement."


(à lire en entier ici)

 

 

Des gommes pour imprimer la vie

Blog de l'association Charles Plisnier, François-Xavier Lavenne, mai 2020

"Si l’épreuve du confinement pouvait avoir quelques mérites, l’un d’eux serait de nous avoir forcés à prendre conscience, avec une acuité nouvelle, de l’importance de la culture pour nos vies. Nous avons besoin de littérature, de musique, de tableaux, de films autant que d’air et d’eau. Il en va de notre survie mentale en des temps qui ont révélé notre immense fragilité.

Durant les semaines où, pour beaucoup, la vie était suspendue, où nous étions soudain déshabitués de nos existences, où la mort affleurait partout, le monde de la culture a continué d’agiter les esprits, d’élargir les instants, de nous faire voyager en nous-mêmes, de questionner le sens. Il a fait preuve de cette capacité d’invention du réel et de réaction devant l’immaîtrisable qui est la définition de l’activité artistique. Ce monde culturel est une galaxie d’institutions qui, d’année en année, se battent pour survivre, d’hommes et de femmes dont le quotidien est, trop souvent, l’incertitude. La crise les frappe durement ; le risque d’hécatombe est réel ; il appartient au public de les soutenir par sa curiosité et son enthousiasme.

Ainsi, le déconfinement est-il l’occasion de découvrir la « muséo-diversité » de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de retrouver les œuvres dont nous avons été privés, mais aussi d’aller à la rencontre de créations inconnues et d’ouvrir grand l’horizon culturel.

Parmi les musées qui accueillent à nouveau le public cette semaine, figure la Bibliotheca Wittockiana. S’il n’était plus autorisé de passer la porte de ce musée, il était cependant possible de le laisser entrer chez soi. Dans le cadre de l’opération Museum at home, lancée par les musées bruxellois, la Bibliotheca Wittockiana a en effet proposé des découvertes de ses trésors grâce à des vidéos, des visites virtuelles en 3D et des textes mis en ligne. Cette initiative, qui se prolongera dans les prochaines semaines, s’accompagne aujourd’hui de la réouverture de l’exposition de Kikie Crèvecœur, brutalement interrompue quelques jours après son vernissage.

Ces premières visites se dérouleront dans une atmosphère étrange, solitaire et silencieuse. Sans doute, cette ambiance est-elle particulièrement appropriée aux gommes de Kikie Crêvecoeur, ces petits objets qui demandent une attention recueillie. Kikie Crèvecœur a en effet choisi l’objet qui sert à effacer pour garder la trace de la vie. Sur ces gommes, l’artiste incise le quotidien. Leurs impressions se déploient sur les murs en longues frises pareilles aux pellicules d’un film à venir ou se plient et se déplient en petits accordéons de vie, quand elles ne s’éparpillent pas comme les timbres estampillés d’anciens présents. L’œil parcourt l’empreinte de ces jours, surpris d’y découvrir les souvenirs d’un voyage à New York ou à Rome, la trace de la visite d’Agnès Varda...

La multiplication de petits motifs rectangulaires compose aussi d’hallucinants portraits en arbre. La forêt mystérieuse où l’ombre capture la lumière, l’envol de l’oiseau dont les ailes font osciller le jour et la nuit sont des fils qui traversent l’imaginaire de Kikie Crèvecœur, et, comme des oiseaux, ses images viennent se poser dans les livres. L’exposition explore en effet les rencontres entre le travail de la plasticienne et celui d’écrivains et d’éditeurs. L’image et le texte entrelacent leurs complicités, l’œuvre se fait à quatre mains. Ainsi, les arbres trognés, réalisés avec Caroline Lamarche – ces arbres élagués, qui deviennent des têtes sur des corps bossus – donnent-ils l’image d’une résistance, d’un travail âpre et endurant, d’un acharnement à vivre."

(article à lire ici)

 

 

La couleur des idées

RTBF, au micro de Pascale Seys, mars 2020

Kikie Crêvecœur était l'invitée de Pascale Seys dans l'émission La Couleur des Idées de ce samedi 21 mars 2020. Elle y parle de son travail et de son expo à la Wittockiana ! A écouter sur le site auvio.

 

Kikie Crêvecœur sous les gommes de la vie

Mu in the city, Gilles Bechet, mars 2020

"Entre les pages, un livre catalogue accompagne l’exposition de Kikie Crêvecœur à la Bibliotheca Wittockiana.

En une image ou en plusieurs, Kikie Crêvecœur a toujours déployé des talents de conteuse du quotidien et de l’intime. En trente années de carrière, elle a fait de sa technique de la gravure en relief à la gomme, une signature et un mode d’expression profondément personnels. Le livre d’artiste s’est très tôt imposé à elle comme une prolongation naturelle de son travail. Amoureuse des mots autant que des images, l’artiste bruxelloise les a associés dans des petits livres qu’elle compose comme des poèmes visuels ou dans les livres réalisés avec des écrivain.e.s qu’elle accompagne plus qu’elle illustre. A la Bibliotheca Wittockiana, une exposition rétrospective reprend tous ces livres-objets, remplis d’images et de mots gravés à la gomme, en linos ou en monotypes. En quelques traits, elle peut y parler des oiseaux de son jardin, de saules têtards aux trognes pas possible ou raconter son quotidien en période d’exposition avec toujours une poétique de la synthèse au plus juste. Entre les pages est aussi un petit livre catalogue avec un texte de Pierre-Jean Foulon qui se promène dans la foisonnante bibliographie de l’artiste depuis les premiers ouvrages collectifs à la fin des années 1980, jusqu’aux ouvrages réalisés avec Amélie Nothomb, Caroline Lamarche, Jacques Izoard, Nicole Malinconi et Corinne Hoex en passant par ses créations imprimées que sont les bobines de vie et les carnets en accordéon. Comme si pour Kikie Crêvecoeur, il y avait toujours une image et des mots pour chaque moment de la vie."