[Presse] Poids plumes

"Il y a les oiseaux qu’elle a vus, ceux qui lui en rappellent d’autres, dont elle se souvient, il y a les oiseaux qu’elle imagine, ceux qui ont été soignés, il y a aussi ce chardonneret sur la toile de Carel Fabritius, il y a les oiseaux en liberté, d’autres avec le fil à la patte, il y a aussi l’oiseau qui se tient au bord de, celui qui est dans le cadre de la fenêtre. Il y a ceux dessinés par Kikie Crêvecœur, de gommes et de trait, ils s’accordent si bien à ceux d’encre et de mots de Nicole Malinconi." Michel Zumkir, Le Carnet et les Instants, octobre 2019.

 

L'intranquillité des poids plumes

Jean-Claude Vantroyen, Le Soir, 16-17 mai 2020

Arts et Métiers du Livre

mars 2020

Libbylit

n°140, 2e trimestre 2020

 

 

 

Comment dire les oiseaux?

par Nicolas Baudoin pour Karoo, décembre 2019

"Autrice confirmée dès son premier roman, Nicole Malinconi prouve encore une fois sa géniale humilité à travers ce texte d’où elle tente de s’effacer afin de faire place aux oiseaux de chez nous. Le résultat, illustré par les gommes de Kikie Crêvecoeur, est paru cet automne chez Esperluète sous le titre Poids plumes

à l’affût

Nicole Malinconi déplie une chaise, s’installe dans un jardin et scrute les buissons, les branches, les clôtures, les graviers. Elle cherche les oiseaux, lesquels lui fourniront la matière première de son prochain livre. Son regard balaye l’horizon, à l’instar de jumelles magiques qui translittéreraient le langage naturel en langage humain. Car c’est bien là son projet, ni plus ni moins : rendre compte de ses observations de la façon la plus juste possible, c’est-à-dire tel que ni le rouge-gorge, ni la mouette ne les renieraient. 

Dans Poids plumes, se succèdent des instantanés. Ceux-ci peuvent aussi bien concerner un individu particulier, un groupe d’oiseaux ou une pratique répandue parmi cette espèce. Le vol, le nid, la toilette, le chapardage des restes du marché, autant de scènes familières décrites sous l’œil attentif et amusé de la romancière. Et quand celle-ci replie bagage après de longues heures de guet, c’est pour mieux s’immerger dans ses souvenirs et y plonger le lecteur à sa suite. 

des noms vulgaires

Éloigné de toute prétention scientifique, ce recueil de textes cherche plutôt à convoquer un attachement, une certaine curiosité, une volonté de rencontre que les hommes ont toujours maintenue par rapport aux oiseaux et dont le meilleur témoignage se situe peut-être à l’intérieur de la langue. Suffirait-il d’observer les noms d’oiseaux pour se rendre compte que ceux-ci ne relèvent pas de l’insulte mais de la déclaration ?

 C’est en tout cas ce que laisse entendre la dédicace fournie qui ouvre l’opuscule :

À la Perdrix grise, à la Perdrix rouge, à la Grive musicienne, au Bruant jaune, au Guillemot, à la Farlouse, à la Bouscarle, à la Grive de gui, à la Chouette hulotte, à la Chouette chevêche, au Traîne-Buisson, à la Fauvette effarvatte, à la Grande Charbonnière, au Moineau friquet, à l’Alouette Lulu, aux Freux, à la Draine des pommiers, au Pipit des arbres […]

Quel soin scrupuleux l’homme a mis dans la forme de ces noms qui en appellent aux couleurs, aux mœurs, aux habitats, à l’apparence générale ou aux chants de ceux qu’ils concernent ! En eux-mêmes, déjà, ce sont des poèmes. Ces noms-là ne prétendent pas dominer le monde naturel en le réduisant à une taxonomie lugubre de précision. Ils se mettent à son écoute, humblement, et trahissent par leur variété l’enchantement de générations entières. C’est dans ce fond que puise Nicole Malinconi pour tracer furtivement la silhouette de ceux dont la présence, chaque jour, se fait plus discrète.

intranquille

 « Maintenant, le matin, on entend plus que les moteurs des voitures. » C’est dit en passant, avec la blancheur d’un style qui a fait ses preuves. Prendre ce livre pour un manifeste écologiste serait tiré par les cheveux. Pourtant, pourtant, pourtant. Il me semble qu’on retrouve, plusieurs fois dans ces pages, la nostalgie d’une sensibilité en train de se perdre, d’un lien se dénouant progressivement. La rapidité et la complexité de notre époque ne permettraient-elles plus de transmettre cet héritage mentionné plus haut ? Qu’est-ce qui pousse encore les hommes d’aujourd’hui à se retourner sur leur environnement, si ce n’est la peur égoïste de disparaître avec lui ?

Nulle urgence dans les mots de Malinconi, mais une intranquillité. Ses descriptions ne sont faites que d’apparitions. C’est obligatoire puisque tout un chacun sait qu’il n’y a jamais le temps de dresser le portrait d’un être aussi vif et occupé qu’un moineau. À peine le verrait-on disparaître s’il venait à s’éteindre. Les gravures sur gommes de Kikie Crêvecoeur suivent ce rythme, croquant avec une netteté impressionnante le mouvement bruissant du peuple avicole. Illustratrice et autrice se répondent, chacune avec leurs armes, à travers la page. Leur échange, on le devine, est tout entier concerné par l’impossibilité de fixer une impression sans la trahir. 

& poreuse

Et justement, comment fixer une impression sans la trahir ?

Apparemment, un manuscrit de Jean Santeuil témoignerait de la facétie de Proust à ce sujet. « Le livre n’a jamais été fait, il a été récolté », y écrirait-il. C’est une jolie façon de résumer une ambition que partagent beaucoup d’auteurs, dont Malinconi : celle de l’effacement. Cette volonté s’illustre notamment dans son recours constant au pronom « on » – indéfini, neutre –, alors même qu’elle nous conte un souvenir qui lui est propre. Comme l’observe très justement Michel Zumkir, écrire revient alors à « être poreux pour qu’en soi pénètre la matière qui fera le livre ». Dans le cas de Poids plumes, le chercheur en vient même à « rapprocher Nicole Malinconi des oiseaux qu’elle décrit », poussant la logique de l’effacement jusqu’à la substitution magique de l’auteur à son sujet.

Du chant des oiseaux à leur murmuration, jusqu’au silence qui les menace, l’écriture de Nicole Malinconi ne transforme rien, elle compose. Pareil en ce sens aux Catalogues d’oiseau de Messiaen – auquel elle a déjà consacré un récit –, les mots se font notes et les notes deviennent sons pour finir par retrouver magiquement leur état de nature. Tout ce qu’on peut en dire, par opposition, pécherait par excès d’artificialité. Il ne reste plus donc qu’à se taire et à vous inviter à découvrir les oiseaux dans le texte."

 

 

 

Le livre de l'intranquillité

par Michel Zumkir pour Carnet et les Instants, octobre 2019

 

"Qu’allait écrire Nicole Malinconi, après avoir donné voix à Theresa Stangl, la veuve de Franz Stangl, ex-commandant du camp d’extermination de Treblinka (Un grand amour, 2015) et entrepris sa première fresque historique (De fer et de verre. La Maison du Peuple de Victor Horta, 2017) ? Où son écriture allait-elle la mener ? Elle qui n’œuvre jamais dans la compétition, le calcul, le bruit et la fureur du temps présent n’a pas surenchéri ; elle est revenue à nu, sans documentation, au départ ; elle a retrouvé son fidèle regard, l’a ouvert sur l’alentour, le pas très loin ; elle est retournée vers ces vies minuscules à qui elle a toujours accordé une place de choix dans ses livres, vers les plus minuscules des minuscules, ces/ses oiseaux qu’elle aime tant. Ces oiseaux qui s’avèrent, aussi, une épreuve pour son écriture.

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Je ne devrais peut-être pas, cela pourrait sembler simpliste, et pourtant je me l’autorise. À rapprocher Nicole Malinconi des oiseaux qu’elle écrit, et dire : Elle n’est pas telle le ramier posé sur le faîte du toit avec sa posture de grand placide, sa « manière de regarder passer la vie comme qui regarderait le dehors, de sa fenêtre, tranquille » ; elle est plutôt comme les oiseaux de petit format qui ne prennent pas « des airs de philosophe » et sont faits « pour l’intranquillité ».

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Intranquille est aussi son écriture. De ne pouvoir dire l’oiseau dans tout son être, son paraitre, son attitude, sa gestuelle, ses déplacements, ses agissements – dans tout son réel (pour employer un mot que l’autrice lie à sa démarche littéraire depuis son premier livre, Hôpital silence). De devoir rester dans l’à-peu-près ou les balbutiements (les termes sont d’elle). Souvent sa phrase doit se corriger. Doit s’y reprendre à deux fois (« Une pie plonge du haut de l’immeuble. Disons plutôt qu’elle tombe comme une pierre. » [je souligne]) Et encore tout ne sera pas dit pour autant. L’écriture ne dit jamais tout. De cela elle a déjà parlé souvent.

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Si intranquille est son écriture que dans un autre de ses livres paru aux Editions de l’Esperluète, Les oiseaux de Messiaen (2005), à peine commençait-elle à écrire les oiseaux qu’elle se laissait entraîner dans une réflexion sur l’écriture et ses contraintes, ses impossibilités. Son essence.

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Intranquille et pourtant un calme, une quiétude, une sérénité nous gagnent à la lecture de ce livre sur les oiseaux.

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Tout au long de Poids plumes, elle qui regarde les oiseaux plus qu’elle ne les écoute (elle n’est pas Messiaen et son écriture n’est pas musicale), pour se pronommer – et afin de donner tout l’être aux oiseaux – elle se neutralise, s’efface tant que faire se peut et dit « on ». Comme le rappelle Laurent Demoulin dans son article paru dans le numéro 55 de la revue Textyles, « Nicole Malinconi, le style ou l’écriture ? À propos de De fer et de verre », le « on » est « comme une marque stylistique qui colle à la plume de Nicole Malinconi » et « s’adapte aux besoins de la cause ». Dans De fer et de verre, le « on » pouvait être, entre autre, la voix du peuple. Ici, il n’est plus qu’une personne, à peine quelqu’un, qui regarde le peuple des tout petits dans l’immensité du monde brutal.

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Nicole Malinconi est particulièrement attentive à la transformation du monde et à ses conséquences. À ce qui disparaît. À ce que cela induit. Pour l’être humain, ailleurs dans son œuvre. Pour les oiseaux, dans ce livre-ci. Comme, par exemple, l’enfouissement des fils électriques qui ne permet plus les rassemblements préparatoires aux grandes migrations.

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Dans le cadre de son regard ou de ses souvenirs, les oiseaux sont en colonie ou en solitaire.

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Pour illustrer le texte, Kikie Crêvecoeur pose aussi un cadre (au trait noir) à ses dessins (gommes). Des vignettes, on dirait. Parfois les oiseaux y sont en bande, dessinés, parfois ils y sont esseulés. Jacques Dubois parle également de vignette à propos de certaines formes brèves de Nicole Malinconi. « Même littéraire, une vignette sera du côté de la modestie et de l’impromptu, dût-elle pourtant avoir exigé du travail et mis en œuvre tout un art. »

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Les oiseaux de Nicole Malinconi ne sont pas sans relation avec l’être humain, même si le plus souvent ils l’ignorent. Ils lui renvoient ce qu’il est : un être de mots (un parlêtre), un être à qui est réservé « l’impuissance, le désespoir ou l’angoisse » qu’il ait, ou non, « vu mourir un canard ».

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Dans leurs interactions avec les êtres humains, souvent les oiseaux se tiennent à carreau pendant que ceux-ci sont debout derrière leurs carreaux, à les observer. Peut-être même à espérer les attirer.

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Les êtres humains restent là, démunis, face aux oiseaux. Avec toutes leurs questions, sur le pourquoi et le comment de leur comportement, de leur déplacement, de leurs criaillements, ils sont là, et les oiseaux ne leur répondent pas. Déjà qu’ils savent si peu de choses sur eux-mêmes.

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Il y a les oiseaux qu’elle a vus, ceux qui lui en rappellent d’autres, dont elle se souvient, il y a les oiseaux qu’elle imagine, ceux qui ont été soignés, il y a aussi ce chardonneret sur la toile de Carel Fabritius, il y a les oiseaux en liberté, d’autres avec le fil à la patte, il y a aussi l’oiseau qui se tient au bord de, celui qui est dans le cadre de la fenêtre. Il y a ceux dessinés par Kikie Crêvecœur, de gommes et de trait, ils s’accordent si bien à ceux d’encre et de mots de Nicole Malinconi.

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Pour le vol, il n’y a pas mieux que les oiseaux…

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Pour finir, on voudrait en revenir au début, à la dédicace qu’elle fait à une nuée d’oiseaux, en les citant un à un, par leur nom d’espèce. « À la Perdrix grise, à la Perdrix rouge, à la Grive musicienne, au Bruant jaune, au Guillemot, etc. » ; elle en cite ainsi plus de septante. Elle les ramasse sur deux pages avant de leur donner la liberté dans la suite du livre. Jusqu’à ce qu’ils disparaissent complètement. Dans la dernière vignette, il n’y a plus que leur présence absente, « Ils se cachent. / Ils se taisent. / Ils manquent. »

 

 

A l’écoute et à la vision des oiseaux

sur le site québécois Culturehebdo

"Les oiseaux sont là qui font entendre leurs chants et qui peuplent l’espace, mais que la majorité d’entre nous finissent par ne plus voir. Ce n’est pas le cas de Nicole Malinconi qui n’en a pas finie d’être séduite par leurs ramages et leurs plumages. Elle qui leur a déjà consacré un ouvrage “Les oiseaux de Messiaen” en 2005. Et tout comme ce compositeur cette auteure belge partage une fascination pour les volatiles. Elle persiste et signe avec une petite plaquette charmante comme tout au titre inspiré Poids plumes. Ce n’est pas un travail d’ornithologue, mais d’amoureuse, qui les voit vivre et qui nous rapporte ses observations d’amatrice éclairée. Ainsi si les hirondelles ont leur chapitre, le simple petit moineau n’est pas en reste. Et voyez ce que lui inspire le chardonneret. On est entre la nouvelle et la poésie en prose ou presque. Bref, ceux qui aiment ces jolies créatures du ciel trouveront ici un autre motif de les aimer davantage. Et notons au passage les dessins de cette plasticienne compatriote Kikie Crèvecoeur qui apportent une signature à l’ouvrage lui conférant une qualité d’édition additionnelle."

 

Au micro de Pascal Goffaux pour L'Info culturelle

Ce lundi 16/12/19 à 7h30, à (ré) écouter sur Auvio.