Les mille corps dans le Carnet et les Instants

Un bel article signé Vincent Tholomé à propos des poèmes illustrés d'Anne De Roo.

« Ça commence ainsi, par une question :

Je sais, nous avons deux corps et même cent et même mille. Mais comment en parler, d’autres l’ont si bien fait avant nous ?

À lire ce Mille corps, on pourrait dire que le parti-pris d’Anne De Roo tient lieu de réponse. En parler, ce serait, alors, tout d’abord, se glisser dans les pas des autres, se laisser traverser par les manières de dire, les stratégies, de ceux et celles qui nous ont précédés, spécialement les Henri Michaux (à qui est dédié le recueil), les Norge et autres héritiers ou cousins du surréalisme. Agir ainsi, qu’est-ce que c’est si ce n’est se donner une famille, une tribu dans laquelle on se sent comme chez soi ? Non qu’il s’agirait ici de « délirer », de laisser son imagination prendre les devants. Non qu’il s’agirait de laisser la part belle aux rêves, aux parts d’ombre et autres strates généralement cachées, bien tenues à l’écart, de nos esprits plus ou moins bancals. 

Chaque matin
je m’ouvre
à l’étendue de la journée
non entamée.
Je m’ouvre de la largeur d’un camion qui passe
de celle d’une rue
d’une place
d’un quartier entier.
Parfois à peine
d’une fissure dans le mur.

Non. Laisser la voix aux mille corps qui nous composent, ce serait même tout le contraire. Ce serait plutôt une question d’ouverture. D’accueil à ce qui a lieu, mille fois par jour, autour de nous et en nous. Ce serait ainsi complexifier le réel, prendre en compte le fait que notre corps, comme notre identité, comme notre rapport au monde et aux êtres du monde, ne serait pas « réductible » à un mot, à une formule ou à un slogan « qui dirait tout ». Ce serait prendre en compte que nos corps sont des gruyères. Des emmenthals plutôt. Des corps troués, fluides plutôt que solides, traversés par les vents, les gaz et les liquides. Corps infiniment perméables à tout ce qu’ils croisent, corps infiniment malléables, susceptibles d’être bousculés, intérieurement bousculés, par n’importe quoi. N’importe quelle circonstance pouvant nous faire changer de forme, intérieurement. Parce que nous ne sommes pas qu’un amas de peau et d’os, qu’un aménagement relativement peu solide de nerfs, de chairs et de sang. Parce qu’à l’intérieur de notre forme extérieure, ça bouge, sacré nom, et pas qu’un peu ! » 

par Vincent Tholomé

 

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