Elle part et laisse la Petite à d'autres mains inconnues, elle la livre à l'ignorance d'elle, qui est d'abord une ignorance du corps, une privation silencieuse, du rien. Cela, tandis que les autres mains s'occupent à nourrir l'enfant, à le soigner comme il faut. Mais entre le corps de la femme qui a porté et mis au monde la Petite et les mains qui prennent soin d'elle, il y a comme un blanc ; parce que ces gestes-là, ces voix-là ne sont pas animés de la même chose qu'un corps qui a porté et mis au monde, ils ne transmettent pas de corps, pas de vie par le corps, il empêchent seulement de mourir.
Au début, il n'y a pas de mère. Pas de père non plus. C'est dès le premier jour de la vie de la Petite, dès la première heure peut-être, on ne sait pas. Il y a une femme inconnue qui vient de la mettre au monde et aussitôt s'efface.
C'est un texte dense et grave, où une Mère voit sa Petite devenir mère à son tour. Et même si cette Mère n'est pas celle qui a mis au monde la Petite, s'il y a ailleurs une mère biologique, c'est elle, cette mère d'ici qui donne à la Petite les mots de la maternité.
Le lecteur retrouvera ici les thèmes chers à Nicole Malinconi : le langage et la filiation ou plus précisément encore la parole par laquelle se déploie la filiation, le langage qui délie et relie.
Les personnages d'Evelyn Gerbaud incarnent ces liens, ces absences, ces moments de rencontre et de croisement avec la force du dessin noir et blanc.