Une riche et originale New-Yorkaise, Mattina Brecon, décide de passer deux mois en Nouvelle-Zélande dans la ville qui a vu naître la légende maorie de la Fleur du Souvenir. Elle ne se doute pas que la rue où elle élit domicile va être le théâtre de phénomènes étranges, peut-être attribuables à l’influence d’un astre appelé l’Étoile de Gravité.
Ces phénomènes se traduisent par la fracturation de la langue – déjà rendue inauthentique par son utilisation commerciale et politicienne – qui tombe en pluie de voyelles, de consonnes et de signes typographiques, et cet orage aura pour conséquence la disparition pure et simple des habitants de la rue.
Une telle destruction devrait servir de prélude au renouvellement de la langue et du monde, notamment grâce au travail des artistes et des romanciers. Car Janet Frame nous convie à suivre en parallèle la construction du roman qui raconte cette histoire, révélant du même coup ce qu’elle considère comme une tâche essentielle des arts, celle de ramener à la lumière du jour ce qui a été, par commodité ou lâcheté, enfoui dans l’oubli.
Lors de sa sortie en 1988, The Carpathians / Les Carpates a été salué par la presse anglo-saxonne comme un livre exceptionnel. Couronné par plusieurs prix, dont le prestigieux Commonwealth Prize de 1989, ce testament littéraire de Janet Frame est une œuvre incontournable, enfin accessible aux lecteurs francophones grâce à la traduction inédite de Pierre Furlan.
[article] "Un après-midi avec Janet Frame" par Gregory O'Brien
Ce roman poupée russe offre une mise en abîme de la présence au monde par l’écriture surprenante. Ici tout est émoi, palpitation. Des âmes vibrent, volettent. D’une chaîne humaine venue du fond des âges, réelle et fictive, visible et invisible, morte-vivante, se transmet une histoire. Genèse et épiphanie de l’acte salvateur d’écrire en même temps que discours sur l’extrême fragilité de cette présence. Et si la vie n’était elle-même qu’une transmission d’impostures? Janet Frame se révèle grande et subtile poète, muée en romancière masquée. « L’imposture totale, je le répète, mène à ce rien par lequel nous habitons tous les mondes sauf le monde de soi. »
Un article de Dominique Aussenac pour Le Matricule des Anges, juin 2021.