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Seul

John Mulgan roman
traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Pierre Furlan

18 € • 14 x 20 cm • 224 pages • isbn 9782359840193 • 2011 • collection En toutes lettres

 

J’ai rencontré Johnson sur le quai d’un de ces villages de pêcheurs bretons où tout le monde s’adonne à la peinture, et si je suis entré en conversation avec lui, c’est d’abord parce que nous parlions tous les deux anglais et ensuite parce que nous avons découvert que nous venions du même pays – lequel n’était pas l’Angleterre. Nous avons un peu bavardé en regardant les filets bleus des bateaux de pêche pendre et sécher au soleil, en regardant aussi les salopettes rouges des marins et la toile rouge-brun des voiles, et par-dessus tout cela nous respirions la forte odeur du poisson. Nous sommes ensuite montés prendre un repas au café de Bordeaux. Le bistro était bondé  : un groupe était arrivé de quelque part en car. Ces gens occupaient toute la salle à l’exception d’une ou deux tables sur un côté, de sorte qu’il nous était difficile de nous faire servir ou d’entendre ce qu’on disait, mais nous n’étions pas pressés et nous sommes restés là à manger des crevettes et à boire du vin rouge bon marché. Au bout d’un moment, nous nous sommes mis à parler de la guerre.
Ce Johnson, pour autant que je puisse le décrire, sortait juste d’Espagne. Tout cela se passait il y a un ou deux ans – une autre époque. Il était en permission mais, ensuite, il retournerait en Espagne. C’était un homme de taille moyenne au teint très brun, presque noirci par le soleil, avec un visage rond d’aspect banal, une grande bouche et de fortes dents jaunies par le tabac. Il avait des cheveux blonds, pas de chapeau et des yeux qui pouvaient être gris ou verts. Comme j’étais curieux de cette guerre – et, d’ailleurs, de toute guerre –, je l’ai poussé à m’en parler, mais il ne voulait pas en dire grand-chose. Il a dit  :
« La guerre, on en parle foutrement trop. »
J’ai attendu un peu. Dans le café, le bruit ne faisait qu’empirer. On nous a enlevé les crevettes, puis on nous a apporté du veau et une autre bouteille de vin.
« Des guerres, tu peux en voir quand tu veux, a dit Johnson. Dans le monde, aujourd’hui, il y en a plein. Il y a quelques années, c’était différent. C’était des histoires de vieux. Le genre de choses qu’on racontait autour du feu.
— Tu as été dans la Grande Guerre. Dis-moi comment c’était.
— J’ai été dans toutes les guerres, a dit Johnson, mais je ne pourrais rien t’en dire.
— Tu n’as pas envie ?
— Je ne pourrais rien t’en dire même si je voulais. C’était rien de particulier. Tu ne comprends pas la guerre si tu ne l’as pas vue. Et si tu l’as vue, tu ne la comprends pas. »
La chaleur était étouffante, dans le café, mais le bruit a quand même commencé à baisser autour de nous ; l’odeur de poisson et d’huile de cuisine se mélangeait à la fumée du tabac.
« Je ne pourrais pas te parler de la guerre, a dit Johnson. Ce n’était pas très différent du reste. Je pourrais te raconter des choses pires sur la paix.
— La paix, c’était quoi ?
— Le petit bout entre deux.
— Des choses pires ?
— Plus vraies. »
Alors, comme je ne voulais pas bouger et que j’étais tout prêt à l’écouter, je lui ai dit  : « Eh bien, parle-moi de la paix. »

 

Héroïque dans son propos, Seul est un roman qui donne une perspective essentielle sur la Nouvelle-Zélande et la crise qui a précédé la Seconde Guerre mondiale. Efficace à la manière d’Hemingway, anticipant sur l’existentialisme de Camus, Seul s’inscrit comme une œuvre marquante de la littérature mondiale du XXe siècle.

Quelques années avant la grande crise de 1929, le jeune Johnson, personnage central de Seul, émigre vers la Nouvelle-Zélande, pays qu’il découvrira en étranger, toujours un peu décalé. Emporté par le flot de l’Histoire et de ses bouleversements économiques, Johnson va errer d’un travail à l’autre jusqu’à ce qu’il rencontre, dans une ferme isolée, une jeune Maorie qui fera de lui un meurtrier involontaire. Il s’enfuira alors dans les forêts presque impénétrables de l'île du Nord où, tel un Robinson, il ne survivra qu’au prix de terribles privations. Il finira par gagner l’Angleterre avant de repartir combattre en Espagne aux côtés des Républicains. Parcours tumultueux qui semble dessiner une question : l’homme seul, à la fois fort et faible par sa solitude même, peut-il dépasser sa condition et trouver le chemin d’une nouvelle fraternité ?

 

 

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