[Paroles de lecteurs]
Jeanne Benameur a lu Femme Morte à la théière
"J’ai connu Carol Vanni il y a plus de vingt ans. Il y a quelques années seulement elle m’a parlé de cette grande cousine et de sa mort abjecte. A l’époque je me rappelle elle avait dessiné ce que ma mémoire a gardé comme une toile d’araignée labyrinthique.
Et elle, Carol, où ? Prise et perdue au labyrinthe ?
N’ayant paix éphémère que dans les tâches incessantes qui semblaient tenir si serrés ses jours ?
Et si vaste pourtant à l’intérieur d’elle ce qui pourrait accueillir la vie. Cette immensité, je l’ai toujours sentie.
Il fallait écrire.
Dans Femme morte à la théière c’est son chemin qu’elle trace pas à pas. Obstiné. Farouche.
Des pas parfois au-dessus du vide, les yeux fermés. Et puis, les ouvrant, les miracles menus, répétés, des jours.
C’est de la vie que protège cette Femme.
C’est de la vie qui infuse patiemment dans sa si délicate théière.
Et nous franchissons avec elle le seuil qui permet de rejoindre la vie sans limites. Il y a dans ce texte des épiphanies prosaïques magnifiques et c’est dans ce paradoxe que le texte se construit.
Dans un petit territoire du monde, cette Femme vit entre ceux qu’elle a choisis, ses intimes. Je dis « entre » et non « avec » . Chacun la touche au plus profond mais entre chacun et elle, un espace, celui qui permet de tendre la main, ou pas, de dire un mot, ou pas. Cet espace-là permet aussi le sourire, l’humour, le rire.
Nous partageons, nous lecteurs, son souci de préserver ce que de la vie il reste. Et peu à peu, nous comprenons comment elle le fait croître.
Oui, c’est une Femme pauvre de vie qui parle. Mais elle lutte et cultive. Chaque chose pèse alors son poids. Rien n’est plus inutile. La pauvreté prend tout son sens et tout devient précieux.
Comme elle, nous devenons riche du regard sur le monde. Comme elle, nous vivons ce qui la met à l’épreuve dans la nature et ce qui la comble.
Car c’est là que nous comprenons qu’elle est « avec ». Dans la nature au sein de laquelle elle vit, s’ouvre la belle reconquête du souffle. Et peu à peu, nous respirons de plus en plus large.
Je me demandais comment le dessin pouvait accompagner un tel texte. Avec sa ponctuation légère et sobre, Anne Leloup a fait le choix d’une scansion et c’est d’une grande justesse.
Ce texte pudique et fort, qui évite tout pathos, reste en nous longtemps après l’avoir lu. C’est cette empreinte précieuse qui donne envie d’y retourner. Merci."
Jeanne Benameur
Paleochora, avril 2018