[presse] Entretien fleuve avec Veronika Mabardi
En décembre 2022 et janvier 2023, deux entretiens-fleuve avec Veronika Mabardi sur Karoo, mené par Fanny Lamby. © Pio Kalinsky
Entretien fleuve avec Veronika Mabardi I
Fanny Lamby, Karoo, décembre 2022
première partie : une chose n’existe pas séparée de toutes les autres
D’ailleurs, tu concrétises parfois ces sensations qu’on ne nomme pas mais qui sont là, comme le fait d’appréhender des choses par un autre sens. Il y a cette idée qu’on entend les mots par les yeux (Les Cerfs), qu’on boit un visage (Sauvage) ou quand Blanche entend le brame du cerf, elle se met les mains sur la bouche (Les Cerfs). C’est drôle, ce langage qui s’exprime par d’autres sens, cela m’a beaucoup touchée, tout comme le fait que ce soit une petite fille.
Je trouve que c’est intéressant de pouvoir retourner à cet état d’enfance où la métaphore n’existe pas, où tout est réel. Si je dis que je me sens brouillardeuse, ce n’est pas une métaphore, c’est vrai que mes cellules sont brouillardeuses. Si on commence à dire « je suis dans le brouillard » et à penser que c’est une métaphore, on se déporte, on n’est plus dans la réalité de la sensation. La petite fille donne plein de permissions. On ne s’autorise pas à penser certaines choses car ce ne serait pas adulte et intelligent. En plus, je n’ai pas du tout fait d’études universitaires : je suis avec ce bagage de diplôme d’humanité, faut pas que je la ramène, j’ai vécu avec ça très longtemps.
La métaphore, c’est le pas de côté, la figure de style qui regarde le langage et là il n’y a pas du tout cette contemplation du langage.
La langue dit des tas de choses en elle-même. À un moment, elle ne dit qu’elle-même. Comment fait-on pour épuiser le langage et pouvoir se taire après sans que le silence soit une chape de béton ?
Blanche perçoit très vite qu’il y a des limites au langage. Quand quelqu’un lui parle, elle est directement perturbée par le fait qu’elle comprend d’autres choses que les mots. Il y a tout ce côté au-delà du langage, ce qu’on perd parfois en étant adulte en s’en tenant au sens stricto sensu.
C’est le problème d’Annie (Les Cerfs). Elle est dans le langage. Elle a beau abandonner les livres, elle ne peut pas abandonner le langage, elle ne peut pas percevoir qu’il se passe mille choses. Comme elle a mis le mot « amour » sur sa relation avec Ian, elle ne voit plus la relation qu’elle a avec lui et toutes les possibilités de cette relation, car elle est dans une relation livresque, quelque chose de phrasé. Quand Blanche commence une autre relation avec Ian, ça doit être super troublant pour l’adulte. Que se passe-t-il entre les deux ?
Et on se sent troublés aussi. Ce que je trouve incroyable, c’est que Blanche influe directement sur le langage d’Annie puisqu’avant elle dit qu’elle parlait droit et qu’elle commence maintenant à parler mélangé. Je trouve qu’il y a un rapport avec la danse, la danse du langage, qu’on ne doit pas toujours réfléchir à si ce qu’on dit fait sens.
Il y a la question de la thèse-antithèse-synthèse, de tout ce qu’on a appris à l’école, de comment développer une idée du début à la fin, comme si la pensée était droite, pyramidale, avec des hiérarchies de pensées. Je trouve qu’il y a des parallèles à faire entre le monde patriarcal et la manière dont on utilise la langue pour penser, c’est-à-dire que si on ne peut pas penser à ça et ça, et aussi ça et ça, et faire des sauts et revenir et faire toute une danse horizontale, on va se retrouver dans un truc « il y a d’abord ça, puis ça et donc ça ». Et non.
Tu dis d’ailleurs : « Le père et le frère se passent la phrase, ils l’emberlificotent autour de ce qu’ils ne disent pas. »
J’adore cette absence à laquelle on accorde de la place mais qu’on ne nomme pas.
Oui, c’est puissant le langage. Je me souviens d’une sensation physique d’être embobinée par la parole de quelqu’un, comme si les phrases s’enroulaient autour de moi et venaient me serrer la gorge et m’empêchaient de parler et même de penser. Le langage a vraiment beaucoup de pouvoir, peut-être pas celui qu’on croit, seulement de dire ce qui est.
On pourrait presque faire un livre théorique sur la vision du langage des trois récits ! Il y a de petites phrases très réflexives, l’air de rien, parmi toutes les sensations que Blanche ressent. Le langage apparaît dans son foisonnement, dans sa cruauté aussi, parce qu’une phrase « peut abîmer les choses », leur enlever une magie…
Il y a des gens qui ont voulu décortiquer la relation entre Blanche et Ian et qui l’ont salie avec des mots. Je pense qu’un enfant peut vivre le désir dans son corps et qu’un adulte peut en être conscient et respecter ce désir quand même. Je voulais vraiment qu’on perçoive cette relation, entre cette petite fille et cet homme adulte, qui résonnent l’un dans l’autre, et que ce soit juste, et que, pour une fois, un homme protège un enfant et n’abuse pas de cette chose qui est belle.
Et Ian apprend beaucoup de cette relation aussi. J’ai remarqué qu’il y avait souvent une tension entre deux personnages dans ces trois livres et qu’ici Blanche réussit à le faire évoluer, à lui réapprendre à se relier aux autres. Il y a toujours une personne bloquée. Ian, ici, est écrasé par les attentes d’Annie.
Oui, il est complètement coincé, incapable de parler.
Blanche arrive avec toute sa pureté. Cette tension dramatique entre deux personnages me faisait penser à l’influence du théâtre. Il y avait à chaque fois deux protagonistes, un qui vient aider l’autre puis, en miroir, reçoit l’aide de l’autre.
C’est vrai qu’il y a cette idée que sans l’autre, il ne se passe rien. Je pense qu’il y a quelque chose dans Blanche. Elle est extralucide, comme les enfants peuvent l’être, et elle n’a aucune envie de sauver Ian. Elle vit juste complètement ce que son corps lui dit et c’est ça qui fait que Ian peut bouger. Annie a cette envie de l’aider, de le sauver mais c’est justement ça qui le coince. A posteriori, je fais le lien avec Sauvage car il y a cette question de vouloir sauver l’autre dans toute cette affaire d’adoption. Ce sont des thèmes sous-jacents auxquels je ne pense pas du tout consciemment sur le moment. Il s’agit de lâcher des choses que je ne sais pas que je dirais et donc je trouve que les personnages – ou même, dans Sauvage, mon frère – sont des détournements. Pendant que je m’occupe d’eux, je ne m’occupe pas de ce que j’écris et donc quelque chose peut émerger qui n’est pas de l’ordre du récit construit mais d’une surprise.
On retrouve aussi cette relation dans Peau de louve avec Muriel, à la fin, et l’enfant qui l’aide et reprend ensuite la peau de louve de cette dernière, pour l’utiliser à son tour. Il y a cette transmission aussi, cette aide de personne en personne.
Oui et c’est drôle parce que plein de gens me disent « oh la métaphore de la forêt » mais, pour moi, tout est réel. C’est crédible, c’est possible qu’elle trouve cette peau, c’est possible qu’elle la mette, c’est même possible qu’elle mange les animaux. Pour moi c’est important que ce ne soit pas du fantasme, de l’imaginaire dans le sens de « ça ne se peut pas mais on peut y rêver » : non, ça se peut.
Il y a beaucoup de récits excellents qui parlent de transformation, comme Le lièvre d’Amérique de Mireille Gagné. La connivence entre humains et animaux, ici, ce n’est pas pour la métaphore : c’est beaucoup plus original.
C’est vraiment de l’ordre du pouvoir de l’animal. Quel est le pouvoir du loup ? C’est l’étendue. Le loup peut nous apprendre ça, c’est très concret. Le rat peut nous apprendre à regarder les détails et à disparaître, à se fondre dans le paysage. On est un peu comme des enfants, à vouloir des aigles, des loups et des panthères mais, en fait, une mésange, ça le fait.
Cela me fait penser à cette frontière entre le dehors et le dedans, qu’il faut venir dépasser. Tu attires l’attention sur le fait qu’on qualifie – encore une fois, on pose un mot – les bêtes de « dangereuses » alors que finalement c’est nous qui sommes dangereux pour elles.
Statistiquement, c’est nous qui sommes dangereux pour elles mais, si on se retrouve face à face avec un coyote… Mais pourquoi serait-on familiers, pourquoi les animaux seraient des nounours ? On est élevés dans une sorte de « tout va bien » mais, non, tout ne va pas bien. Il y a des conflits.
C’était la prise de conscience des conflits et, en même temps, la prise de conscience qu’on fait partie d’un tout. Dans Sauvage, il y avait cette idée aussi d’arrêter de dire d’être du bon côté de la catastrophe alors que, finalement, tout le monde est dedans. Il y a quelque chose d’inclusif, que ce soit entre les animaux et les hommes, entre ceux qui souffrent et les autres.
Oui, on vit la même histoire et il y en a qui en souffrent plus que d’autres. Il y en a qui souffrent dans leur imaginaire. Sauvage m’a vraiment appris ça en fait. Quelqu’un m’a dit : « La douleur est inévitable, la souffrance est optionnelle ». La douleur de mon frère, elle n’était pas optionnelle. C’est le trauma physique. Après, à moi de choisir, et de comprendre ce qui est optionnel et de le laisser tomber pour pouvoir passer à l’action.
… la suite à lire sur le site de Karoo !
Entretien fleuve avec Veronika Mabardi II
Fanny Lamby, Karoo, janvier 2023
Deuxième partie : Toutes les choses qu’on m’a dites de ne pas faire, c’est précisément celles qu’il faut que je fasse le plus.
" Au gré des sillons creusés par Les Cerfs (2014), Peau de louve (2019) et Sauvage est celui qui se sauve (2022), ce deuxième pan d’entretien se diffracte en divers faisceaux : l’identité multiple, les fonctions de l’art, la légitimité et l’universalité des émotions, l’écriture de la perte et de l’adoption, la mémoire matérielle, les prises de paroles révoltées et construites ensemble. "
Outre le détricotage du langage, la question de l’identité multiple traverse Les Cerfs, Peau de louve et Sauvage de long en large. J’ai adoré l’image du « visage-palimpseste » dans Sauvage, et aussi le fait que Blanche (Les Cerfs) est consciente qu’un personnage peut être triple, en l’occurrence, Ian, l’adulte avec lequel elle joue et s’aventure en forêt. Il y a le Ian qui va revenir, le Ian qui ne revient pas et le Ian guerrier qui veut gagner le jeu de dames.
Il y en a plein, oui.
Et ça c’est aussi quelque chose qu’on perd peut-être en voulant nommer les choses. Puis, Blanche qui plie son nom avant d’arriver en forêt. Il y avait un travail de déchargement des étiquettes. Je me demande si, en écrivant, tu le fais aussi pour toi, tu te rends compte des étiquettes qu’on fait porter sur toi ?
Oui, j’ai aussi une pratique de psychanalyse. C’est très séparé en fait. D’un côté, je travaille tout ce que je pourrais dire à ma famille ou aux gens avec qui je suis en conflit ou à moi-même et de l’autre côté, quand je commence à écrire, je retrouve vraiment cet état d’enfance, de dire « aujourd’hui, on voyage là et là ». Après, je me retrouve généralement avec un grand chaos de petits bouts de « on voyage là, on voyage là » et le travail commence. Ça devient très pénible de mettre ça sur une ligne, c’est un apprentissage. Mon éditrice est importante dans le processus, c’est une vraie rencontre. Le premier texte que je lui ai proposé était un texte en forme de plan : il y avait un plan de ville, toutes les rues étaient nommées et à chaque rue correspondait un texte. C’était comme un plan de Bruxelles, les rues communiquaient les unes avec les autres. Je m’étais beaucoup amusée et ça me permettait de rester dans l’étendue. Et puis Anne m’a dit : « C’est une belle idée mais c’est une installation donc soit tu fais une installation, soit, si tu veux faire un livre, tu conduis le lecteur d'un début à une fin. Certains lecteurs vont commencer par le début et d’autres vont commencer par le milieu, mais toi, à un moment, tu dois organiser le trajet et savoir ce que tu racontes. Ça ne veut pas dire développer une thèse, mais juste quel est le trajet que toi tu fais dans ton plan ». J’ai dit : « Il y en a mille ». Et elle a répondu : « Choisis-en un, fais un livre, et on en fera un deuxième après ». Elle m’a libérée de l'inquiétude de figer le chemin et j’ai pu commencer à jouer, à mettre une chose à côté d'une autre, à agencer. Ça a mis deux ans.
C’est ça, se faufiler dans ce plan.
Oui, elle m’a aidée à accepter de me mettre sur une ligne et de lutter avec la ligne plutôt que de la refuser.
Surtout que vu que tu es comédienne, tu côtoies la multiplicité. Tu dis souvent dans les interviews que tu aimes bien changer d’identité. Pour créer un livre, ça doit être difficile de choisir une ligne.
En fait, il n’y en a jamais, sauf dans Peau de louve où, clairement, il y a la conteuse. Dans les autres, le point de vue change tout le temps, ce qu’on m’a reproché. On m’a beaucoup dit « Parle normalement, exprime-toi clairement, une chose après l'autre, ne te lance pas avant d’avoir réfléchi, adopte un point de vue et tiens-toi à celui-ci ». Cela ne marche pas : j’ai décidé de ne pas parler normalement, de laisser parler puis de réfléchir dans le retravail et d’accepter de glisser d'un point de vue à l'autre. En faisant comme ça, je trouve ma place d’écriture. Toutes les choses qu’on m’a dites de ne pas faire, c’est précisément celles qu’il faut que je fasse le plus.
Pour aborder un autre aspect de la question de l’identité, dans Les Cerfs et Sauvage, il y a cette absence de miroir, d’images. Pour Blanche, les miroirs sont trop hauts, c’est comme si elle n’existait pas. Pour ton frère (Sauvage) aussi et, alors il oublie son visage. Tu parles du fait qu’il y a peu de représentations des personnes asiatiques à la télévision en Belgique à cette époque-là, alors que lui est né en Corée. Je trouvais ça intéressant car on a besoin de ces espèces de béquilles pour se définir. L’art permet de le faire aussi.
C’est intéressant ce rapport à l’art parce que je trouve qu’il y a quelque chose de dangereux. En réfléchissant à l’histoire de mon frère, je tombe sur cette chose qu'on entend souvent : « Si tu es tourmenté, exprime-toi dans l’art » mais, en fait, ça n’empêche pas d’être tourmenté et l’art est le seul bénéficiaire de cela. Cependant, la personne continue à souffrir. En écrivant ce livre, je me suis dit : « Bon, mettons qu’on puisse guérir les traumas, ne pas les nier et les soigner, quel type d’art on produirait ? » J’ai entendu une émission passionnante où l’on parlait de l’injonction à être créateur quand on était en souffrance. Ça me parle. Si l’art sert à s’exprimer, si les chants désespérés sont les chants les plus beaux, alors, soyons désespérés pour produire de beaux chants... Par contre, si on dit que les chants joyeux sont les chants les plus beaux, est-ce qu’on n’arriverait pas à un autre monde, avec d’autres artistes, d’autres révolutionnaires aussi ? Si on disait « La valeur, c’est la joie » et pas « La valeur, c’est la souffrance ».
Tu parviens tout de même à dépasser cet art-réceptacle de la souffrance mais qui ne permet pas de s’en défaire. Dans Peau de louve, il y a en effet ce langage qu’on lave de tout ce qui a été dit avant. Ce travail-là mène tout de même à la guérison d’une certaine manière.
Oui, mais surtout, on guérit par l’autre. Je relie encore ça au patriarcat. Si l'art est un idéal qui vaut la peine qu’on en crève, on est dans un rapport vertical, on remplace finalement dieu par l’art et dieu n’est pas mort. Mais que se passe-t-il si on se dit que l’art est au service des êtres humains ? L’art est quelque chose que l’on partage, qui appartient à tout le monde, qui évolue et qui se transforme. Ce n’est pas la sacro-sainte trace idéale pour les siècles des siècles. C’est ici, maintenant. Je dis ça mais je ne le vis pas encore physiquement. J’ai fait beaucoup de danse classique, c’est sur une pointe d'orteil vers le haut et pas un gramme de chair en trop. Je me dis : « Peut-on revenir ici maintenant, en horizontalité, avec les gens ? » mais, en même temps, je signe toujours mes textes et j’accepte toujours d’être dans des listes de prix avec des premiers et des derniers.
Ça fait partie du jeu, de la mise en scène. Par rapport au patriarcat, cela me fait songer à tous ces regards qu’on vient placer sur le corps. Muriel (Peau de louve) se rend compte qu’elle va devoir cacher son corps car il est lacéré de regards qui pensent des choses sur elle, de regards qui vont la définir, tout comme il n’y pas vraiment de moment pour s’arrêter lorsque des adultes vont chuchoter et qualifier ton frère et ta sœur (d’origine coréenne) de geisha ou de samouraï (Sauvage). C’est très juste cette remarque quant au regard qui vient nous figer dans quelque chose. Ici, en le figeant sur le papier, cela te permet-il de t’en détacher ?
Ce qui est fort, c’est qu’une fois que les choses sont dites, qu’elles ont été mises dans la matière, je peux passer à autre chose parce qu’il y a un relais avec le lecteur. L'obsession de mon frère, par exemple : depuis la sortie du livre, c’est puissant et touchant, on parle de lui et je peux ne plus en parler, je suis soulagée parce qu’en fait, toutes ces années, j’avais l’impression qu’il le fallait. Maintenant, son nom est dans le journal. Il est nommé hors de moi. Si j’avais été performeuse, j’aurais collé son visage sur les murs. C’était une manière de dire : « Regardez-le vraiment ». Maintenant, les gens me disent : « Ok, je l’ai vu ». Je peux mettre ma tête sur autre chose.
Cela me fait penser à la scène du bateau dans Sauvage durant laquelle tu dis que tu as oublié d’être triste. L’idée d’une émotion qu’on est censés avoir résonnait en moi. Le livre permettait de donner de la place à toutes ces émotions qui n’ont peut-être pas surgi au bon moment, selon certains codes.
Oui et ce sont aussi des émotions, en fait. La vérité de cette tension entre la joie et la peine, je ne la voyais pas à l’époque. C’était ma deuxième perte mais la première qui n’était pas acceptée, à la fin d’une belle vie. C’est la première perte anachronique. Je pressentais que c’était dû à quelque chose qui avait été tordu quelque part dans le parcours mais je n’avais pas encore les mots. Ce travail de « nommer » là où c'est tordu, la tache aveugle, j’ai pu le faire avec des personnes adultes adoptées, des proches, en lisant des témoignages. Mes idées clarifiées sur l’adoption, j’ai pu écrire et arrêter la culpabilité floue. Je ne me dis plus que j’écris sur mon frère après l’avoir poussé dans le trou.
Toutes les facettes de la culpabilité sont évoquées dans le livre d’une façon vibrante. Elles ne sont pas mentionnées de manière à mettre mal à l’aise. Même s’il nait ici d’une situation particulière, ce sentiment est transposable à d’autres contextes. On le reconnait car il est décortiqué de façon universelle.
Oui et le cœur du livre c’est vraiment que cette rencontre est incroyable. À l’intérieur de ce face à face qui m'a fondée, il y a un accident. Personne ne sait si l’accident aurait pu être évité, peu importe, ce n’est pas mon affaire. Par contre, on peut dire qu’il y a des endroits du trajet où la société toute entière a commis des fautes, a été aveugle, ignorante, négligente, et pas seulement la famille, pas seulement les sœurs et frères et pas seulement l’école mais tout ça ensemble. C’est le fait d’avoir cru, dit, qu’il était un problème. Comment peut-on être un problème tout seul ? Ça n’existe pas un problème tout seul.
Il y a ces attentes qui figent aussi par rapport à l’adoption. Quand quelqu’un s’y intéresse, il a envie d’entendre une histoire préfabriquée.
Oui et l’histoire qu’on veut entendre, c’est celle qu’on a entendue quand on était petits dans Sans famille. On veut une répétition du roman qu’on a déjà lu alors que c’est tellement plus complexe.
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