Sauvage est celui qui se sauve a reçu le Grand prix du Roman 2022 décerné par l'Académie royale de langue et littérature française de Belgique.
C’est loin, vu d’ici, la Corée
Il ne portait sur lui qu’un petit pantalon de toile
Des chaussons de caoutchouc vert et blanc
Un bracelet de plastique scellé où quelqu’un avait écrit son nom et l’adresse d’une famille dont il ne savait rien.
Il n’avait dans ses poches ni miettes ni cailloux,
Rien qui lui permette de retrouver son chemin.
Il disait : je porte un masque de Chinois sur un visage d’enfant blanc,
Vous ne voyez que le masque.
Il a pris son visage entre ses mains,
L’a déposé sur le papier, la toile et la terre
Et il est reparti.
Veronika Mabardi suit les traces que son frère a laissées, comme on suit une piste. Elle remonte le chemin vers la fratrie, les jeux, les solidarités de l’enfance. Les liens indéfectibles avec les amis. Les premiers choix et les premiers doutes. Les parents, leurs valeurs, leurs combats. Les assignations d’identité, les dénis, les injonctions à saisir sa chance, à se comporter normalement. Et le chaos qui s’installe dans la vie de ce frère qui a ébranlé ses certitudes. Qu’est-ce qui n’a pas été dit, pas même pensé ?
Sauvage est celui qui se sauve est le livre qui n’aurait jamais dû être écrit. Veronika Mabardi y dresse la cartographie de cette rencontre improbable au sein d’une famille métisse et rend hommage à cet homme, ce frère, artiste en devenir, champion de la disparition, qui dansait sur les limites.
"Qu’est-ce qui vous enthousiasme actuellement ?
Juste avant l’aube, pendant un moment, il y a un silence particulier. Tout est obscur, immobile, tremblant comme le fil d’une funambule. Impossible de ne pas être attentive, aux aguets. Et puis, le jour est là !
Ce qui m’enthousiasme a souvent rapport avec l’étonnement. Un visage dans la foule, un livre sur l’étagère, une photo retrouvée qui modifie la cartographie du souvenir, une idée, une manière de dire qui transforme ma perception de ce qui m’entoure, de la personne qui me parle. Découvrir, au sens premier : soulever une couverture et voir ce qu’elle cachait. " Un entretien en cinq questions par Stéphanie Dambroise, Axelle magazine, mai 2022.
"Pour restituer au monde cette brève existence, elle va retrouver les souvenirs heureux de leur enfance commune, les quatre cents coups de ce nouveau petit frère. Puis viennent les incartades de son adolescence, les difficultés de son orientation, les premières fugues et les dangereuses expériences rencontrées en chemin…
Mais aussi la complicité des repas du dimanche, les engueulades dans une famille où on s’aime, son goût précoce pour le dessin qui apaise le gamin turbulent, leurs discussions entre deux absences, sa douce présence au chevet de leur mère hospitalisée.
Elle veut témoigner de ses fuites permanentes, de ses retours pitoyables, de sa parole empêchée, de ses interrogations sans réponse, de cette tentation d’un suicide à laquelle il ne pouvait se résoudre de peur d’accabler ses parents.
De son “refus d’entrer dans le système, parce que ce serait renoncer à regarder la vie les yeux ouverts”.
Elle veut découvrir ce qu’il a laissé de son passage furtif sur une terre qui n’était pas la sienne. Pour explorer le contenu de la grosse caisse volontairement oubliée dans un coin de grenier après son décès, elle attendra vingt ans.
Parce qu’il lui a fallu ce temps pour accepter d’explorer et de confier aux flammes qui libèrent, les traces confiées à des lettres, à des carnets, des aspects les plus sombres de la vie de Shin Do, un monde cruel où il se débattait avec les mots qu’il ne pouvait dire. Vingt ans pour arriver à conter son histoire." Christiane Sistac, Mare Nostrum, février 2022.