Tu ne supportais pas cet émoi contraint autour de toi, le visage de ta mère fermé sur une angoisse masquée, ton père faussement léger, soupesant une piécette qu’il lançait d’une main pour la rattraper de l’autre comme s’il jouait ta vie. Les médecins défilaient ; l’hiver, ils parlaient bas, d’autres faisaient claquer le fermoir de valises sévères qui contenaient ton destin. Tout te paraissait prophétique parce que tu manquais de souffle et de corps. Tu te voyais dans chaque mouvement qui te projetait dans un geste d’augure et tu voulus transformer l’augure en offrande.
Le vrai merci, je l'ai appris de toi, dit Anna saluant la mémoire de son père ; le bonheur tient dans la beauté de soi que l'on surprend dans le regard de l'autre.
Second roman de Pascale Tison, La joie des autres met en scène un réseau de personnages dont les vies se jouent intensément. Une femme, Anna, en est le centre et la narratrice. Elle partage son amour et son adoration entre deux hommes d'exception : son père et son amant, l'un danseur-étoile, l'autre violoniste virtuose, l'un homme du sud et l'autre homme du nord. Deux hommes qui se séparent et se rejoignent, sans pouvoir se rencontrer ailleurs qu'à travers le corps d'Anna. Au fil des mots, Anna se cherche et se découvre. Par le signe, elle parviendra à s'extraire, sans se défaire, de ces deux monstres sacrés.
Et c'est aussi par le signe que Gabriel Belgeonne rejoint l'écriture de Pascale Tison. Rythmant le livre à la manière d'un métronome, ses encres trouvent l'écho de la narratrice. Le livre devient alors le lieu rare d'un équilibre.