Je suis né malgré moi. Je ne voulais pas. Je ne voulais pas sortir. Je ne voulais rien. Je voulais croupir. J’avais fait mon temps, les neuf mois réglementaires. Au tableau des arrivées, le retard s’accusait. Deux colombophiles faisaient les cent pas dans la salle des pas perdus. Ils attendaient le pigeon. Ils scrutaient le ciel, mais ne voyaient rien venir. Pas la moindre cigogne à l’horizon dont ils me bassineraient les écoutilles quand je les questionnerais, quand je leur demanderais comment faire. Comment faire pour retrouver le chemin du retour, avant même la ligne de départ et la grotte immonde? Sommé d’exister, en n’espérant rien en retour. Je ne voulais rien. J’allais être exaucé. Assez tergiversé, accouche ! L’accouchement fut provoqué.
Voici l’histoire d’une non-histoire, celle d’un homme qui aurait préféré ne pas être. Affublé d’un corps qui n’a pour lui que peu de réalité, il peut sans difficulté exister à côté de son enveloppe charnelle. Il devient alors observateur de sa propre identité et revient à la source, celle de son enfance.
Une enfance marquée par un double manque : la relation avec un frère aîné qui habitait sous le même toit, mais qui était exclu du noyau familial, et la présence-absence d’un troisième enfant dont il occupe la place dans l’imaginaire familial. En grandissant, il recherche le frère manquant. Il l’a découvert jeune adulte en la personne d’un étudiant qui semblait exister à sa place. Cet Uriel moderne, archange solaire, ne fit qu’accentuer la solitude mortelle causée par l’effacement de sa personne. Une seconde rencontre, celle d’un chanteur tout aussi angélique, creuse cette disparition de soi comme programmée dès l’enfance
Ce récit d’une construction malgré soi, traversé par une nostalgie sans fond, tempéré par la présence bienveillante de la famille actuelle du narrateur et par la révélation de la radio – où le son prend la place du corps – emmène le lecteur dans un univers à l’écriture singulière et sensible.
Une expérience de lecture proche de l’apnée où Pascal Goffaux nous emmène dans l’intimité de son enfance, avec un humour noir, mordant, à la limite de l’autosabotage.
Laurent Quillet explore cette non-présence au monde dans un travail d’effacement volontaire de sa personne sur d’anciennes photos de famille. Les univers de ces deux hommes se rejoignent et se répondent. Dans leur démarche d'absence et de retrait du monde, ils ont trouvé leur alter ego.
Des existences sont parfois marquées de nostalgies, de rendez-vous manqués, d’erreurs sur la personne. Pascal Goffaux propose un récit largement autobiographique où il remet en question sa présence au monde. Confession sans concessions qui nous tend le miroir de notre propre ancrage dans l’existence.
Ce livre, dont la couverture évoque d’emblée un effacement, commence sur un chapitre au titre évocateur : « Le désagrément d’être né ». Et les premières lignes confinent tout autant au constat sans appel, à une sorte d’auto-sabotage. Comme s’il y avait erreur sur la personne.
"Je suis né malgré moi. Je ne voulais pas. Je ne voulais pas sortir. Je ne voulais rien. Je voulais croupir. J’avais fait mon temps, les neuf mois réglementaires. Au tableau des arrivées, le retard s’accusait. Deux colombophiles faisaient les cent pas dans la salle des pas perdus. Ils attendaient le pigeon. Ils scrutaient le ciel, mais ne voyaient rien venir. Pas la moindre cigogne à l’horizon dont ils me bassineraient les écoutilles quand je les questionnerais, quand je leur demanderais comment faire. Comment faire pour retrouver le chemin du retour, avant même la ligne de départ et la grotte immonde ? Sommé d’exister, en n’espérant rien en retour. Je ne voulais rien. J’allais être exaucé. Assez tergiversé, accouche ! L’accouchement fut provoqué."
Un article de Michel Torrekens dans Le Carnet et les Instants, décembre 2021.