Agenouillée devant une porte d’immeuble, elle sort un à un tous les objets de son sac tandis que les gens se dirigent vers on ne sait où d’un pas qui semble fuir quelque chose qui les talonne.
On ne lui prête pas attention.
Elle préfèrerait perdre sa carte d’identité, ses clés, son passeport, sa carte de crédit, tout ce qui se copie à l’identique en quelques formalités pénibles, plutôt que ça.
L’inventaire est presque terminé, ses affaires sont étalées par terre, mouillées – tant pis – elle retourne son sac : barrettes, médicaments, stylo, poussière, c’est tout, le sac est vide, quelque chose en elle se fige, elle n’a qu’un gant.
Ce n’est pas possible.
Dans un Paris sombre et pluvieux, la perte d’un gant entraîne une femme à retraverser la ville à rebours de sa journée. Cette recherche dans la nuit devient peu à peu une errance où surgissent des souvenirs liés aux lieux et à ce gant manquant qui cristallise un choix non-résolu et l’enjeu d’un changement de vie.
L’écriture d’Anne Collongues suit les méandres des pensées de cette femme. Tel un long monologue intérieur, les souvenirs affleurent au fil de ses déambulations dans la ville.
Les encres de Patrick Devreux accompagnent l’errance de la jeune fille, en créant une atmosphère sombre, où la réalité et les souvenirs se fondent dans l’obscurité, passants et souvenirs fugaces se transforment en ombres.
Une errance moderne dans la ville et dans les souvenirs.
La librairie Point Virgule (Namur)
Anne Collongues est photographe et écrivaine. Elle aime les lieux et les temps suspendus, les bribes de vies anonymes mais jamais anodines. Elle a publié chez Actes Sud Ce qui nous sépare, un roman tissé des existences d'hommes et de femmes le temps d'un trajet de RER. Le gant est un récit d'errance. Errance bien réelle, celle d'une femme désemparée par la perte d'un gant, et qui décide de repasser sur les lieux de sa journée en espérant le retrouver. Errance intime surtout, parce que ce gant perdu va l'obliger à remonter le cours de sa vie, à affronter des souvenirs sagement enfouis, à reprendre pied dans sa vie. Anne Collongues est la peintre délicate de cette quête en apparence banale, qui s'avérera déterminante. Elle décrit avec force les gestes quotidiens, les instants fugaces, les points de bascule. Son récit est ponctué par les encres de Patrick Devreux, qui offrent au texte une douce étrangeté.
"Le Gant est un tout petit livre qui prend le temps de dérouler le temps. Cette femme aurait pu râler et aller s’acheter une nouvelle paire de gants. Au lieu de ça, elle descend. Elle descend dans le souvenir du gant, sa provenance, sa matière, puis dans le souvenir de l’homme qui le lui a offert, leur amour, leurs lâchetés. Dans ce Paris de fin de journée sous la pluie, un autre monde se déplie. Avec lui un autre présent possible, la voie de l’autre choix. Si elle n’avait pas perdu le gant, elle n’aurait pas laissé filer l’homme. Ou peut-être l’inverse. Le sentiment de perte se propage."
Mathilde Alet, Karoo, mai 2018