[presse] Le cercueil de verre
Au milieu de chaque conte, il y a un autre conte. Au bout de chaque conte, un conte nouveau. À la différence du rêve, c’est nous qui les inventons, et qui pouvons les réaliser. Il suffit de soulever le couvercle du cercueil de verre. Il était une fois… (Joseph Bodson)
Il était une (double) fois
Samia Hammami, Le Carnet et les Instants, mars 2023
Coup de cœur du carnet
"Blanche-Neige, Cendrillon, La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, La Petite Gardeuse d’oies, Le Vaillant Petite Tailleur, Le Joueur de flûte de Hamelin, Hansel et Gretel, Le Loup et les Sept Chevreaux, Les Musiciens de Brême… Combien de contes et légendes des frères Grimm se sont faufilés dans nos tendres oreilles et peuplent notre inconscient depuis lors ? Il en est de moins connus, et tout aussi fantastiques, qu’il est enthousiasmant de (re)découvrir grâce aux conteurs, ces chaînons d’une longue tradition spirituelle qui palpitent de « cette sensibilité particulière à cette sorte de force vibratoire que les grandes images de notre imaginaire continuent d’exercer sur nos esprits et nos corps, à travers le temps et l’espace ». C’est le cas du Cercueil de verre, dont Myriam Mallié offre une passionnante lecture dans son livre éponyme publié aux précieuses et minutieuses éditions Esperluète.
« Que nul ne dise qu’un pauvre tailleur ne saurait aller bien loin, ni parvenir aux grands honneurs ! Il lui suffit seulement de frapper à la bonne porte et que cela lui réussisse, ce qui est la chose principale », tel est l’incipit du conte qui nous occupe. Délivrer ainsi d’entrée de jeu sa morale et, qui plus est, la formuler de manière quasi dogmatique, voilà qui déconcerte la narratrice. En quête de réponses, elle se tourne alors vers Elisa, une amie qui écorce les roseaux et tisse des récits avec une agilité éblouissante. À deux, au bord d’une berge, elles questionnent l’ici et maintenant ainsi que l’ailleurs et jadis. Au cours d’une discussion dynamique, elles entremêlent en effet conte originel, commentaires nourris et interprétations ouvertes, et perpétuent par leurs paroles croisées son pouvoir d’enchantement.
Dans cet ouvrage, la narration se dédouble donc intelligemment. En arrière-plan, d’un côté, une noble orpheline, un magnifique château qui l’abrite avec son frère bien aimé, un inconnu maléfique qui s’invite ; de l’autre, un jeune tailleur, une forêt vivante et majestueuse, une cabane forestière où chercher asile. Car « [le temps des contes] s’installe aussi dans des lieux différents et dans une simultanéité d’actions-événements-personnages dont le lien nouveau, vivant et nécessaire va apparaître peu à peu, du moins on l’espère et sur lequel on aura plaisir, et intérêt, à s’interroger ». Les personnages se rencontreront, il ne peut en être autrement, et leur futur nous est déjà connu, mais qu’importe, l’important étant « le chemin autant que le but. Le chemin et une certaine pratique de la marche devenant le but. Juste ça. » En avant-plan, une expérience de lecture étourdissante : on ne lit pas ce livre, on l’« entend ». L’oralité prend magiquement voix sans que rien ne paraisse artificiel ni ne relève de la divagation. Ce dispositif particulier donne au contraire un relief, une matière et une texture inattendus aux phrases déployées et aux idées effleurées (la solitude, l’intuition, l’ancrage, l’évolution, le rêve, les symboles, le destin, etc.). Cet ouvrage, généreux et dense, permet d’approcher l’esprit conteur « [qui] est puissant et n’a pas d’âge. Il oblige le regard à se tourner vers l’intérieur. Cette parole-là est du côté de la vie, elle en est le rempart et peut-être l’appui le plus sûr. » Et l’on ne peut que remercier chaleureusement Myriam Mallié pour cet étonnant voyage."
Reflets Wallonie-Bruxelles n°75 : janvier - février - mars 2023
Reflets Wallonie-Bruxelles est l'organe officiel de l'Association royale des écrivains et artistes de Wallonie (AREAW) depuis 1949. Elle traite aussi bien de la littérature en langues régionales qu'en français. Tous les trois mois, elle fait place à des textes de création en français et en langues régionales, comporte aussi des pages d’actualité et de critique de livres récents, des études sur des artistes de chez nous, ainsi qu’une revue des revues.
Myriam Mallié est conteuse et peintre professionnelle, elle a donné de nombreuses formations et a été formée elle-même à l’art-thérapie à l’INECAT (Paris)
Ce livre frappe le lecteur, dès l’abord, par la diversité de ses contenus. C’est que le conte, on s’en apercevra au fil des pages, c’est bien plus que le conte. Il ne faut pas oublier que dès les premiers temps de la parole, le conte a précisément servi à son apprentissage et à son exercice. S’il paraît plus spécialement destiné aux enfants, il a aussi meublé les longues nuits d’ hiver de la proto-histoire, les veillées de Cro-Magnon, et qu’il peut servir, aujourd’hui encore, à introduire l’enfant dans le monde adulte, après de difficiles épreuves C’est ce qu’exprime si bien La psychanalyse des conte de fées, de Bruno Bettelheim. C’est ce que l’on retrouve aussi dans les pénétrantes analyses de l’école formaliste russe, insistant sur la présence nécessaire d’adversaires et d’alliés du héros. Importance aussi de la formule-clé ouvrant la porte des contes : Il était une fois…, avec ce contraste entre la longue durée et la brièveté surprenante de l’une fois.
Rien d’étonnant donc si Myriam Mallié, partant du conte traditionnel, nous entraîne en des domaines qui pourraient lui sembler étrangers. C’est que le conte, aux racines mêmes de notre culture, s’attache de très prés à toutes nos démarches, intimement mêlé à nos combats, à nos longues attentes, à nos espoirs et à nos défaites, à nos rêves qui les entourent et les révèlent. Une bonne part de notre littérature en est issue, des Mille et une nuits au Grand Meaulnes, en passant par le Songe d’une nuit d’été.
Rien d’étonnant non plus si dans le cours cette belle étude, elle change assez souvent de registre, partant du conte en ce qu’il a de plus classique pour déboucher sur les problèmes les plus courants, les plus actuels que nous pose la vie ; rien d’étonnant à ce qu’elle prenne pour alliée et pour interprète cette vieille dame, Elisa, dont l’office est de servir en quelque sorte de truchement pour passer de l’existence quotidienne au grand courant de la vie et de l’espoir, qui nous permet de reprendre pied et de progresser :
Elle : trop de questions aussi. Le songe surgit quand nos yeux s’aveuglent de la nuit qui vient, que les oiseaux se taisent, que le grand calme du soir prend possession de l’espace et que nous sentons monter l’angoisse qui peut prendre figure d’épouvante. Le désir aussi de nous sentir plus proches.
Là, au bord de cette angoisse, et de ce désir, j’ai ma place. Alors vient la parole conteuse. Ce monde que le conte appelle, on ne peut y rester. C’est trop fort, trop lourd, trop intense. C’est le pays des morts et des fous. Tu n’as pas idée de ses forces.
Moi : j’ai idée de ses joies. Je les ai connues ce soir encore. Grâce à toi.
Elle : c’est le conte que tu as vu et ses grandeurs, qui nous métamorphosent. Ce n’est pas moi.
Au milieu de chaque conte, il y a un autre conte. Au bout de chaque conte, un conte nouveau. A la différence du rêve, c’est nous qui les inventons, et qui pouvons les réaliser. Il suffit de soulever le couvercle du cercueil de verre. Il était une fois…
Joseph Bodson
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Un article de Françoise Lison